Journal d’une institutrice clandestine de Rachel Boutonnet

L’Institut Universitaire de Formation des Maîtres (IUFM) a remplacé au début des années 90 l’Ēcole Normale. Mais est-ce une école normale ? Pour rappel, les IUFMs forment

Couverture du livre du Journal dune institutrice clandestine de Rachel Boutonnet

les professeur(e)s des écoles (les ancien(ne)s instits), les professeur(e)s certifié(e)s (les enseignant(e)s du secondaire) et les agrégé(e)s. Cet institut, en deux ans, prépare lors de la première année au concours. Les lauréat(e)s du concours deviennent alors stagiaires et passent en seconde année pour affronter leur stage et devenir « titulaire ». D’autres peuvent directement arriver en seconde année ayant passé le concours « en candidat libre ».

Dans son ouvrage, Journal d’une institutrice clandestine, Rachel Boutonnet, traite de son année de stage à l’IUFM dans un carnet de bord, un journal intime : témoin et confident de tous ses maux et émotions. Elle y dépeint une institution à double discours. D’un côté celui fondé sur les sciences de l’éducation où tout un vocabulaire technique et savant s’est construit, qui rend celui qui le maîtrise, « formateur/expert ». De l’autre celui qui ignore la réalité d’un terrain et qui pense que toute vérité se construit non pas par l’expérience mais par le fruit d’une pseudo-science évoquée juste avant. Ainsi elle déclare : « Je me trouve pour un an dans le bastion de la peur et de la haine du savoir, de l’ignorance fière d’elle-même et arrogante. Le credo est ici : « Moins on sait, plus on est intelligent et mieux on sait ce qu’est apprendre et enseigner ». On oublie que les verbes « apprendre et enseigner » sont transitifs. Cette phrase me fait penser à une expression utilisée autrefois pour qualifier l’institution militaire – la grande muette – . Elle s’applique aux deux protagonistes (les formés et l’institution) : les formés contraints à un mutisme forcé et l’institution qui refuse de réfléchir sur son essence propre face aux critiques des personnes qu’elle prépare.

Elle évoque dans son journal le combat d’une année entre son désir de rester elle-même et de faire part de ses idées dans un débat constructif et le refus net de l’institution et de ses représentants de toute discordance par rapport à la doctrine officielle. Toute rébellion est une remise en cause de la titularisation (entrée dans la fonction publique). Elle y dit que l’institution se centre sur la forme et non  le fond et ne communique pas aux stagiaires les éléments qui leur permettront d’aborder leurs premières années d’enseignement.

Parmi les morceaux choisis dont ce livre regorge, j’en ai retenu quelques un que je vous livre ici :

  • « Qu’il faut savoir imposer des connaissances, mais « qu’argumenter est aussi fondamental ». Elle (une enseignante)  explique que « les enfants sont d’autant plus enclins à écouter qu’on aura respecter leur besoin de bouger »,
  • « Selon la façon dont on traite le sujet, on peut en effet susciter l’intérêt et ainsi motiver les enfants. Il est important aussi que les enfants élaborent eux-mêmes la trace écrite qu’il auront à retenir ».

Ces citations illustrent le principe que l’enfant est au centre de l’apprentissage et que tout se construit autour et avec lui… Les tenants de cette approche moderne, ces chercheurs en pédagogie, oublient qu’une évaluation centrée sur les compétences et non sur les savoirs engendre des situations d’échecs tragiques. Naturellement, ces citations sont extraites du contexte et devraient être remises dans leur situation d’origine. Toutefois elles éclairent à mon sens ce que l’Ētat, le Marché – malgré un discours positiviste permanent – souhaite pour sa jeunesse.  Je vous invite à lire ici l’essai intéressant de Jean-Paul Brighelli : la fabrique du crétin ou la mort programmée de l’école.

L’auteur fait preuve d’une maturité impressionnante aussitôt l’obtention de son concours. Son journal, dans des mots simples, fait transpirer ses gouttes de souffrance entre sa conception de ce que devrait être le métier et la vision idéaliste institutionnelle. Cette schizophrénie est toujours présente tout au long de son année.

La seconde partie du livre – après celle du journal  – est un ensemble de réponses issues de la réflexion de Rachel Boutonnet aux énormités entendues à l’IUFM.

La dernière partie du livre est celle de ses trois premières années d’enseignement où elle relate notamment son expérience d’apprentissage de la lecture à des élèves de CP. « Clandestinement », elle acquiert des ouvrages sur ses deniers propres pour combler les lacunes de certains de ses « apprenants ». Or pendant un remplacement, un inspecteur découvre la chose et lui décoche un rapport cinglant lui signifiant durement les erreurs de ses choix, la fraude contre la doctrine institutionnelle le tout allant à l’encontre selon l’inspecteur des apprenants.

Pour conclure, loin d’être réactionnaire, cet ouvrage est la réflexion mature d’une professeur sur sa formation avant son départ dans les écoles. Elle y dénonce l’hypocrisie entre la liberté pédagogique de l’enseignant et l’invitation d’adhésion à la doctrine institutionnelle voulue par les formateurs des IUFMs. Il ne s’agit pas d’une charge mais d’une réflexion à repenser la formation des professeurs. Un témoignage ahurissant expliquant en partie le niveau intellectuel de la jeunesse actuelle. Je tiens tout de même à préciser que ce livre a été écrit il y a une dizaine d’années. Depuis les IUFMs ont été intégrés dans les Universités. Pour passer le concours, un postulant doit être titulaire d’un master en enseignement (niveau bac+5) contrairement à une licence auparavant (niveau bac+3). Certains y voient des mesures d’économie : précarisation des statuts par la constitution d’un vivier important de contractuels. Gageons que ces changements offriront aux individus se destinant aux métiers de l’enseignement une formation repensée et des personnes heureuses de construire un peuple sensé et critique avec une conscience politique.

Cédric Beucher


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