La forêt des pendus de Liviu Rebreanu


La forêt des pendus est l’histoire d’un soldat roumain, Apostol Bologa, se battant dans l’armée hongroise durant le premier conflit mondial. Il est bon de rappeler ici que la Transylvanie, région où se déroule l’histoire n’est pas encore roumaine. Au début du roman Apostol est juge dans une cour martiale pour juger un camarade qui sera pendu. Du statut de bourreau et d’héros de guerre (plusieurs médailles gagnées au combat), il deviendra lâche aux yeux de ses camarades puis déserteur refusant de juger des soldats de sa propre nationalité en fin d’ouvrage.

Le roman est plus intéressant sur les tribulations de l’âme du héros que la trame en elle-même. Liviu Rebreanu nous livre ses réflexions sur la nature humaines par l’entremise des pensées de son héros. Et c’est là, toute la force du livre. Abordons cette réflexion. En premier lieu, la première conception de la vie de notre héros se forge au contact de son père : dur, froid et distant. Son père, prisonnier politique, lui déclarera à la fin du lycée : « Mon fils, tu es un homme à présent. Tu es prêt, s’il le fallait, à gagner ton pain par tes propres moyens. Tu vas entrer dans le cours supérieur et ton horizon va s’élargir. Tu comprendras beaucoup de choses impalpables car le monde et la vie sont pleins de terribles mystères. Efforce-toi toujours de gagner l’estime des autres et d’abord la tienne propre. Pour cela, il faut que ton cœur soit toujours en accord avec tes pensées, tes pensées avec tes paroles, tes paroles avec tes actes ; c’est ainsi et ainsi seulement que tu deviendras à établir un équilibre durable entre ton mon intérieur et le monde extérieur ! ». On voit ici le modèle de droiture qu’il lui est donné. Un idéal ou une utopie ? Peut-être. Néanmoins la conciliation du coeur et de la raison apparaît comme un préalable à l’équilibre. Le père du héros nous donne aussi l’enchaînement juste : pensées, paroles et actes.

Notre héros part ensuite à l’Université mais la guerre survient. C’est donc avec ce terreau paternel et universitaire que Apostol, soldat, découvre dans la guerre la nature humaine. Fier de son devoir, il s’interroge si sa place n’est finalement pas dans l’armée roumaine au moment où il apprend que sa division est mutée (changement de position) pour aller se battre contre « ses frères roumains ». Il cherche alors désespérément à échapper à son destin en contactant tous les gradés possibles mais la machine est en marche. Ainsi en s’adressant à son capitaine, ce dernier lui répond :  » Ce sont des maîtres honnis qui nous ont envoyés mourir comme des esclaves. qui s’enchaînent eux-mêmes. Alors, dans cette avalanche de crimes, quelle importance peut bien avoir un crime infime – l’exécution du soldat longuement décrite en début d’ouvrage où Apostol est fier du devoir accompli – comme celui qui déchire ton âme aujourd’hui ? Qui se soucie encore de nos âmes ici ? ». S’expriment à la fois ici la force inévitable du destin et le caractère inutile du remord face à l’accomplissement du devoir même si celui-ci déplaît.

Aspostol arrive alors sur le front qui fait face à l’armée roumaine. Le voilà hébergé chez un fossoyeur dont il s’éprendra de sa fille. Et le fossoyeur de lui dire que son vrai métier est menuisier mais qu’en temps de guerre « on a toujours besoin d’un autre pour creuser sa tombe » mais que des cercueils « tout le monde peut en fabriquer ». Allusion fine signifiant qu’il ne faut pas juger une personne à l’activité qu’elle accomplit, car même si elle est ingrate, elle est utile…

En filigrane tout au long de l’ouvrage, le lecteur se heurte à la conquête de la liberté de l’homme : « deviens ce que tu es ». Les yeux du premier condamné hantent Apostol et c’est dans ses pupilles que brillent la lumière de cette liberté tant désirée. C’est cette quête de liberté et la fuite de son destin qui animent notre héros. Ainsi il déclare : »Il faut que l’homme soit seul avec son âme pour qu’il y ait équilibre entre son petit monde intérieur et le reste de l’univers; dès que la réalité intervient, l’homme devient un jouet impuissant, sans véritable volonté qui va là où le conduisent des forces et des volontés étrangères à son être… »

Il trouvera dans l’amour de la fille du fossoyeur un refuge temporaire à ses tourments. Mais le destin se rappellent à l’ordre et l’engrenage des événements se remet en place. Plutôt que de juger des roumains désertant son camps pour rejoindre les lignes adverses, il dira « non » et tentera de déserter. Condamné, il trouvera dans sa propre mort sa liberté. Apostol déclare ainsi : « L’âme a besoin d’une nourriture toujours renouvelée [...] Mais il ne faut pas chercher cette nourriture à l’extérieur, dans le monde des sens. Seul le cœur peut la trouver, soit dans un de ses recoins secrets soit dans un autre monde auquel nos yeux et nos oreilles n’ont pas accès. »

Ce roman fait réfléchir sur la nature humaine et la conquête de sa liberté que l’homme endort souvent derrière un progrès technique lui simplifiant la vie mais qui ne lui fait pas fonctionner ses neurones. Livre spirituel ou initiatique ? Non. Livre romantique ? Oui. Les sentiments y exultent tout en rappelant que la conquête « de sa légende personnelle » selon Paulo Coehlo passe par les tourments de l’âme et qui sait la mort…


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